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Page:Burney - Evelina T1 1797 Maradan.djvu/337

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même sans connoissance. Je ne fus pas long-temps à me remettre ; cet infortuné étoit devant moi, et me regardoit d’un œil à la fois farouche et attendri. Je me relevai : les pistolets étoient sur le plancher. J’aurois voulu les ôter ; mais j’étois trop foible pour m’y hasarder. L’homme étoit immobile comme une statue, et sans proférer une parole, il me fixa avec des yeux toujours également égarés. J’étois appuyée d’une main sur la table, et dans cette position nous passâmes plusieurs minutes.

Enfin, ne sachant quel parti prendre, j’allois sortir. Il me laissa passer, et demeura toujours dans une attitude qui marquoit le dernier degré du désespoir.

Un mouvement de pitié me fit revenir sur mes pas ; et poussée par un sentiment que je n’eus pas la force de réprimer, je me déterminai à emporter les pistolets ; mais le malheureux pour qui je m’exposois, me prévint, et s’empara de nouveau des armes que je voulois lui arracher.

Je ne savois plus ce que je faisois ; mais, par un heureux instinct, je lui retins les bras, et je lui dis : « Monsieur, ayez compassion de vous-même ».