Page:Burnouf - La Science des religions.djvu/20

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la foule des faits intellectuels. Si elle n’en sort que par la parole, le plus grand effet qu’elle puisse produire est d’engendrer la théodicée, qui est une portion de la philosophie, c’est-à-dire d’une science. Au-contraire, quelque grossière que soit l’idée qu’un homme se fait de son dieu, chaque fois que sa pensée s’y arrête, il sent naître en son âme le sentiment d’une puissance étrangère et surnaturelle, et celui de sa propre infériorité. Selon qu’il attribue à cette puissance la vertu de faire du bien ou celle de faire du mal, son sentiment devient l’adoration ou la crainte. Et comme les hommes attribuent toujours à leur dieu l’intelligence, leur adoration où leur crainte se transforment aussitôt en prière. La science n’a pas rencontré jusqu’ici une seule religion où la prière ne soit présentée comme un acte religieux essentiel.

Cependant la prière est un acte intérieur de la pensée qui peut se passer des formules du langage : les saints, les personnes les plus ferventes pensent que nul langage humain ne répond au sentiment qu’elles éprouvent. Si toute la religion se bornait à ces ardeurs secrètes de l’âme, le culte serait inutile et n’eût jamais pu s’établir parmi les hommes ; mais le même besoin naturel et irrésistible qui pousse un homme à communiquer aux autres l’idée qu’il a de Dieu, le pousse aussi à leur exprimer ses sentiments, et par conséquent à énoncer tout haut sa prière. Les ermites ne sont que des membres détachés d’une société religieuse dont ils emportent les formules et les rites dans leur solitude. Il y a donc ici deux séries de faits naturels, deux lois, que la science retrouve dans toutes les religions : d’une part, la notion divine est individuelle, puis elle est mise en commun et engendre les formules du dogme ; de l’autre, l’idée suscite un sentiment religieux individuel d’où naît la prière, puis la prière est mise en commun, et engendre le rite.