Page:Cérésole - En vue de l’Himalaya.djvu/118

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Je me trompais en croyant notre magicien entièrement dépourvu d’instrument rituel. Il en a un ; celui qu’on trouve sous toutes les latitudes et longitudes depuis qu’il y a des hommes qui impriment : l’almanach avec les phases de la lune, les signes du zodiaque et sans doute aussi, en hindi, ces phrases vagues. « Rumeurs, catastrophes et révolutions à l’ouest. » Il tire de son « dhoti » son almanach, très propret et peu lu, et avec une simplicité de tout à fait bon goût, sans gestes ni simagrées, il pèse et examine à la lueur de l’almanach les chiffres qu’Hari-Raout a mesurés comme longueur et largeur de sa parcelle. Il déclare simplement (c’est Khalilur Rahman, musulman, diplômé de Manchester qui me le traduit) que ces chiffres sont en accord remarquable avec le rang des initiales des futurs propriétaires dans l’alphabet. « Tout à fait remarquable, tout à fait propice. » Il dit cela avec l’air gentil et innocent du monsieur qui truque seulement un peu au comptoir de graphologie d’une vente de charité. Quant à la méthode, quant à la relation « possible après tout » comme dit le bourgeois éclairé, entre la longueur du champ et le bonheur futur du propriétaire, je reconnais là du premier coup la « numérologie » qui a fait et fait peut-être encore la joie de plusieurs familles instruites de la Chaux-de-Fonds et que des candidats au baccalauréat « étudient » plus volontiers que les principes de la thermodynamique sur lesquels j’ai essayé de les éclairer un peu.

… J’ai dit que la façon dont le magicien nous avait aidés était « réjouissante ». C’est relatif et je préfère retirer explicitement ce mot. Ces superstitions qui peuvent « aider » un moment, se paient à la longue d’un prix terrible. L’Inde est écrasée de ces préjugés « poétiques » — aussi poétiques qu’un vieil appartement malsain qu’on habite depuis des siècles.