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Page:Cérésole - En vue de l’Himalaya.djvu/26

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chaque échoppe, chaque chariot de paysan — avec l’inévitable vache qui se promène au milieu de tout cela. Les impressions vives ne sont pas toutes également agréables à Joe, à ce contact No 3 avec son empire, contact encore plus profond que les précédents, est littéralement suffoqué par les odeurs multiples et compliquées — pour ne pas dire plus — qui se traînent lourdement sur ce bazar. Il passe par le moment, inévitable ici : où l’on constate avec un certain effroi que tout, ma foi, ne sera pas rose ni surtout odeur de rose et qu’avec toute la sympathie que ce peuple inspire, on aura certaines répugnances à vaincre. Joe en devient un peu silencieux pour un moment, mais il se remet pour un moment aussi en prenant une cigarette, tout en projetant d’abandonner ce grand luxe dans ce pays où on n’a souvent, pour nourrir une famille tout un jour, que la somme nécessaire à payer un petit paquet de cigarettes. En traversant la grande pelouse communale, le Maidan, pour rentrer chez nous — nous cherchons parmi les étoiles : la polaire si basse déjà sur l’horizon — et la Grande ourse, — les subterjis, les sept richis, mais ces sept sages ont disparu sous l’horizon comme jamais ils ne le font chez nous.

Dès la première nuit, nous dormons admirablement sous nos moustiquaires. Rien de plus délicieux que de narguer ainsi, bien à l’abri, ces affreux petits individus dont la musique stridente se fait entendre dans l’air. Mais cela nous met en présence de l’un des problèmes les plus graves qui ait préoccupé les philosophes hindous : si la vie du moustique doit être respectée, il est illogique de protéger ses chevilles ou ses mollets contre lui. Je ne puis pas claquer un moustique sans me demander involontairement si deux yeux hindous veloutés et profonds ne vont pas apparaître avec un air de reproche et de douleur indicibles pour cette offense à la loi