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Page:Cérésole - En vue de l’Himalaya.djvu/42

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Après le repas pris en famille, nous nous réunissons autour d’une bonne lampe à pétrole à bec Auer et à pression et P. nous explique la situation des villages voisins. Dès le milieu de juillet, un grand nombre de maisons ont pendant deux mois été baignées dans l’eau qui montait, suivant les endroits, de trente centimètres à un mètre cinquante au-dessus du niveau du sol.

Nous allons visiter ces villages le lendemain matin, dimanche. Lourgaon est comme assis dans un tub : restes de huttes démolies, tas de boue ; si on circule à pied, l’eau vous monte jusqu’aux genoux. Dans les villages inondés, nous circulons en chariot traîné par deux bœufs ; c’est la prise de contact, la première du service civil avec le champ de bataille. Les gens après s’être réfugiés ailleurs, entre autre sur la digue de P., pendant les hautes eaux, sont rentrés chez eux, mais ils aimeraient bien n’avoir pas une seconde fois la même expérience.

P. est paternel avec tous. On nous reçoit partout cordialement. Aucun doute sur l’urgence d’aider ces braves gens. Nous visitons le même jour plus loin sur la route de Sitamarhi le village de Darhampur auquel M. Scott semble s’intéresser spécialement. Même désolation aquatique ; les grenouilles partout maîtresses exclusives du terrain. C’est incroyable que ces pauvres paysans en se serrant sur un bout de talus resté sec, en retirant les pieds, pour ainsi dire, et en rajustant d’un cran encore leur ceinture furieusement serrée, arrivent à supporter n’importe quoi — un inconfort et une incertitude atroces. La terreur du destin et la lutte sans merci contre ses péripéties marquent l’expression de ces hommes de quelque chose d’indescriptible. L’étrange, le merveilleux, c’est qu’il ne paraît s’y mêler ni méchanceté ni amertume — acceptation naturelle du dernier, du suprême effort.