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la terre ancestrale

enfouie dans la récolte qui cheminait, claironnait d’une voix limpide, une gaie mélodie. Le chant berceur faisait rêver ceux qui se taisaient. Les lourds limoniers, comme le coursier sur la trompette, semblaient cadencer leurs pas sur ces airs nonchalants.

Sur la terre de Jean Rioux seulement, on ne chantait pas. Pourtant, sur celle-là comme sur les autres, la fourragère roulait vers la grange. Le vieillard, assis sur un limon de sa voiture, harassé de fatigue, prêt à succomber, malgré sa farouche énergie, n’avait que l’amère joie de se dire :

« Je l’ai tout de même encore tenue en ordre, cette année, ma terre ; mais je suis content que le plus gros soit fait. »

Lui qui, auparavant, détestait l’approche de l’automne, l’interruption du travail des champs, désirait maintenant l’hiver et le repos. Lui qui, allègrement naguère, ramenait cette dernière charge, aujourd’hui sommeillait presque, avec ses tristes pensées. Sa fille, quoique rayonnante de santé et de jeunesse, dont l’âge permettait toutes les illusions, cachée dans les gerbes, ne chantait pas, ne rêvait pas, mais ne pensait qu’à se reposer. Elle, à qui jadis les beaux soirs d’automne apportaient la gaieté, n’y voyait plus qu’une raison pour pleurer. Elle qui, autrefois, ne vaquait qu’au ménage et aux légers travaux, accom-