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la terre ancestrale

« Allons, se disait-il, on va bien voir si le vieux Jean Rioux n’est plus bon à rien, s’il n’est pas capable de cultiver sa terre, de la tenir en ordre. Tiens !… de la force, j’en ai, j’en ai à vendre. On prétend que je vieillis : regardez-moi travailler. Ah ! ah ! mon bien sera longtemps encore la terre de Jean Rioux. Non, je n’ai pas fini de les faire prospérer mes beaux grands champs. »

Le vieillard, stimulé par son indomptable désir de durer, de faire vivre le plus longtemps possible la tradition de sa famille, développait sa vigueur jusqu’à la dernière limite. Il travaillait comme un enragé, comme sous le coup de l’alcool, ou d’un narcotique qui, pour un instant, font fournir aux muscles toute leur capacité. Cette idée fixe de conserver le même nom à son patrimoine, lui servait de véritable stimulant. Le grain, du bout de la fourche, volait sur le tas : une fourchée était à peine rendue qu’une autre partait déjà de la charrette. En un tournemain, la charge fut vidée, et le vieux, couvert de sueur, était content de lui. De sa fourche, il ramassa sur l’aire les brindilles tombées, enleva son chapeau pour s’essuyer le front de sa manche, et se dirigea vers l’étable afin de donner un dernier coup d’œil à ses bêtes. Pendant son inspection, il but plusieurs grands coups d’eau, car la transpiration l’avait altéré, puis il sortit. L’air était sec et froid, la lune