Page:Côté - La Terre ancestrale, 1933.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
la terre ancestrale

inutiles, qu’il agissait ainsi. Quoique sans grande instruction, il professait des idées qu’il avait prises je ne sais où : peut-être dans son sang, comme un héritage des aïeux. Pour lui, la terre ancestrale était un coin du pays que tout patriote doit garder et soigner, à moins de trahir, comme un soldat qui déserte. C’était une donation qu’il tenait des vieux depuis trois siècles, qu’il eût trouvé criminel d’abandonner. Aliéner sa terre eut été à ses yeux une lâcheté aussi basse, que celle d’un père qui vendrait son enfant. Il racontait que plusieurs des siens, pour la garder à leurs descendants, étaient morts aux armées. Sa tâche lui paraissait bien petite devant l’œuvre des ancêtres. Enfin sa terre, son héritage, était sa dévotion, une partie de sa foi. Non, il n’avait pas la passion de l’argent ; car, quand ses champs étaient beaux à voir, ses troupeaux superbes, tout dans l’ordre et la propreté, il était heureux ; ce qu’il retirait de la vente de ses produits l’intéressait moins. Tu te rappelles, le vieux cheval Bonsang, que pendant plusieurs années il a nourri à ne rien faire et qui, sous les yeux humides de son maître, est mort de vieillesse ? Ce n’était pas là la passion de l’argent. Si ton père n’y avait pas été obligé, je crois qu’il n’aurait jamais vendu ni abattu une seule de ses bêtes.

— Oui, mais malgré tout cela, la terre qu’il aimait tant l’a tué.