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Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/216

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fallait que ma vie pour conserver, parmi les hommes, une grande voix qui s’éteint, je donnerais avec joie ma vie…

— Car l’artiste est roi de la terre, roi par le cœur et le génie, roi béni par tous et sacré de ses propres mains. Les autres rois sont histrions et valets de père en fils. —

Mais quand la Mort à l’œil perçant, choisit parmi nous, poètes, les plus généreux et les plus aimés, quand elle nous enlève un démocrate de vingt ans, beau jeune homme frêle, possédé de ce premier amour de l’humanité qui ne revient plus… Alors je me demande pourquoi je suis épargné, moi qui connais toutes les désillusions et tous les désespoirs, moi qui ai vécu plus d’un siècle en trente ans. Et j’accuse le Destin…

Mais quand la Mort sans seins et sans entrailles prend à l’artiste-mère, à la femme que le peuple adore, à la première actrice d’Italie, le premier-né de ses enfants… Alors je pense que, depuis tantôt six ans, je suis mort pour ma mère, et qu’il vaudrait autant pour sa tranquillité que je le fusse tout-à-fait.

Mais quand la Mort qui n’a pas de gîte ravit à la jeune Italie 405 celui qui jurait de combattre pour elle… Alors je songe, moi, que je n’ai plus de patrie, que mon bras est bien faible et l’humanité bien lourde ; qu’en vain je me consumerai contre la torpeur de ce siècle… Autant vaudrait la tombe !