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Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/297

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misère navrante et centuplait la sensibilité de mon cœur. Et j’ai fait taire 457 ma propre douleur pour décrire sa douleur. Et j’ai déposé sur la table où j’écris un rameau de cyprès. Et je me suis renfermé dans les ténèbres. Et je n’ai parlé de rien, avec personne, pendant toute une semaine, pour n’être pas distrait de la tâche sacrée que j’avais juré d’accomplir. Et tout ce que j’ai vu, je le rapporte ici.

À Turin, l’ouvrier travaille de six heures du matin à dix heures du soir pour vingt-cinq sous en moyenne. Il est logé dans quelque trou de mur ; pour être plus exact, je devrais dire qu’il perche dans des mansardes délabrées où se réjouissent les vents, la pluie, les grandes chaleurs et les oiseaux de nuit. On lui fait sécher les maisons neuves et achever les vieilles. Il couche sur la paille humide, marche sous le haillon, ne connaît d’autre feu que celui de la forge. Il ne boit que de l’eau. Sa nourriture habituelle se compose de pain noir et de polenta, de fruits malsains ; jamais de viande n’a craqué sous sa dent. Une heure lui est accordée pour manger dans le jour, une heure exactement ! Car telle est l’avarice, l’inhumanité, la brutale, cynique et ignoble convoitise des patrons qu’ils poursuivent leurs malheureux esclaves comme des têtes de bétail, de peur qu’ils ne leur volent une seconde de temps, une goutte de sang ou un effort de muscles.

Oh damnation, désespoir et rage ! Oui, pour vingt-cinq sous l’homme le plus grossier peut