Aller au contenu

Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elles ne sont jamais tout à fait reposées, jamais tout à fait lasses ; on ne les éveille pas le matin ; mais on ne les laisse pas dormir le soir. Leurs jours et leurs nuits se succèdent avec une ironique lenteur sans jamais leur apporter le moindre soulagement. Elles mangent et boivent par habitude, sans appétit ; elles subissent l’existence à force d’apathie, de dédain ; elles ne peuvent fuir les ardentes rigueurs de la vie que dans l’étreinte glacée de la mort !


Un soir que je rêvais malheur et que la nuit était sans lune, je vis le royaume de la Prostitution dans les carrefours sans nom. La reine trônait sur des fonds de bouteilles illuminés, serrés les uns contre les autres avec de longs cheveux de jeunes filles. Une de ses mamelles était vierge encore, l’autre flétrie déjà. Elle avait des yeux de verre, une main de plâtre ; ses dents seules étaient restées naturelles et blanches comme le marbre. Elle portait au front une couronne d’épine-vinette et de houx ; jamais cette couronne n’avait fleuri, jamais elle ne s’était fanée !

Autour d’elle, aux accents d’une mandore brisée comme leur cœur, des jeunes filles dansaient ; leurs pauvres jambes, leurs beaux bras étaient agités d’un mouvement mécanique. Elles servaient à leur reine de la viande froide, de blanches salades de laitue, des bains de lait fabriqué, des parfums grossiers et des liqueurs fortes. Et Mylitta dégoûtée crachait sur chaque chose après l’avoir