Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/45

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hérence de Dostoïevski est piteuse, quand il ne trouve pas son ordre. Elle ricane, elle grimace. Quel sourire contraint ! Alors Dostoïevski va d’un pas terriblement lent ; il est obscur, diffus, ennuyeux comme une cave. Ses œuvres manquées, on dirait les fragments, les traits, les notes sans choix d’une œuvre qui n’a pas obtenu la grâce de l’unité. Plus l’analyse est curieuse, plus l’unité est nécessaire. Il en est de tous les détails et de tous les éléments intérieurs comme d’un corps chimique : tous les atomes y étant, il faut l’étincelle qui les assemble et qui les groupe : il faut que le cristal rencontre sa forme.

§

Dostoïevski est d’un prodigieux désordre, quand il ne réussit pas à trouver son ordre.

Mais son ordre est un prodige, quand il l’atteint.

Rien n’y trahit la symétrie, ni ce qu’on appelle la composition, d’un mot grossier qui peint l’œuvre grossière. Dans l’ordre de Dostoïevski, tout est organes, et relations d’organes. Tout est produit par la nécessité intérieure. Ici, la vie des faits est bien l’image, sur les murailles de la caverne, l’image et l’ombre de la vie intérieure, au grand feu du foyer invisible. Ainsi, les chefs-d’œuvre de Dostoïevski sont plongés dans le rêve ; et ils ont seuls le caractère du rêve, comme ceux de Shakspeare, et parfois d’Ibsen.

L’ordre d’une œuvre comme Crime et Châtiment est inouï. J’en ferai quelque jour l’analyse. Je me contente de dire que ce drame admirable se passe tout entier, actes sur actes, dans la conscience de Raskolnikov. Les deux longs volumes ne contiennent que la suite des