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Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/77

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est la consultation populaire du destin. Œdipe joue sur la route de Thèbes. Oreste naît joué. Les Anciens, grands connaisseurs de l’action, n’ont pas de doute là-dessus. Ils en viennent jusqu’à tricher avec la chance, pour garder un atout contre la série noire : tel est le sage Polycrate de Samos, lequel fait en vain une part au malheur : comme il est juste, sa réserve ne le protège point. Le destin n’entend pas qu’on le flatte. Il punit l’un pour son humilité, et l’autre pour son insolence.

Dostoïevski, inquiet en tout, devait avoir l’âme au jeu. Il jouait ses six derniers roubles, comme on sème dans les champs d’Eldorado, pour en récolter dix mille, payer toutes ses dettes et sortir de la gêne. Persuadé que le gain est toujours possible, pourvu que le destin y consente : il ne faut qu’un instant d’oubli, après tout ; il suffit que la male fortune regarde ailleurs, un clin d’œil, et l’on gagne. Bien pensé, et d’autant mieux que la sueur d’effroi fait encore la part de la mauvaise chance.

Celui qui perd toujours n’a pas de raison pour ne pas toujours tenter l’aventure. L’orgueil le veut ainsi, et le sens du juste. Dans le joueur d’un certain ordre, il y a un homme passionné de justice. Toujours perdre l’irrite. En principe, on ne doit pas perdre plus souvent que l’on ne gagne. La foi s’en mêle, et l’on s’obstine. Cet amour-propre n’est pas ridicule, parce qu’il est fondé sur un culte ingénu de la vie. L’homme malheureux joue pour sortir du malheur ; mais il joue encore pour forcer le bonheur qui le fuit. Le jeu est une interrogation de la fortune. Et plus elle refuse de répondre, plus on l’interroge.