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Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/87

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orgueilleux mais digne ; il est réfractaire aux décrets d’État mais pliable aux nobles contraintes de la coutume, aux obligations du droit. Garantissez-lui sa terre et sa droiture, il travaillera, il servira, serviteur résistant et d’autant plus fidèle. Mais ne lui demandez pas de saluer trop bas : il casserait tout. Cette sorte d’homme se relie à travers les siècles aux traditions de la glorieuse humanité aryenne, laborieuse, justicière et guerrière, toujours chantante. Avec ses pareils, ses pères Cyrus et Charlemagne fondèrent des empires, saint Louis et Henri IV un royaume.

Daniel Halévy.

Voilà, répétons-le, une confirmation de nos thèses venant du dehors. La valeur intellectuelle en est considérable. M. Georges Sorel en souligne immédiatement la Portée par une lettre qu’il adressa à M. Édouard Berth, lettre dont le texte nous a été communiqué et que nous sommes très honorés de pouvoir publier aujourd’hui :

Mon cher Berth,

Le bel article publié par les Débats du 3 janvier 1913, « sur l’interprétation de Proudhon », renferme un alinéa sur lequel je voudrais appeler quelques instants votre attention : « Proudhon, écrit Daniel Halévy, avait l’âme haute, mais limitée ; et ce n’était pas la moindre de ses forces. Il concevait une société de chefs de famille, chefs de domaines ou d’ateliers, et, au-dessus d’eux, un chef suprême, dictateur ou roi, pour la mener aux guerres. C'est tout. Il n’entendait rien aux architectures sociales, il lui plaisait de n’y rien entendre, il niait brutalement. Les personnes qui étudient Proudhon, comme vous le faites, avec un sentiment vraiment philosophique, apprécieront leur juste valeur ces graves affirmations ; mais les gens médiocrement informés, qui dissertent aujourd’hui à tort et à travers sur Proudhon dans les feuilles démocratiques, ne se demanderont-ils pas si Daniel Halévy n’a pas voulu adresser un blâme direct à l’auteur de La Guerre et la paix ? Peut-être même quelque sorbonnard, habitué aux bafouilles des sociologues, sera-t-il tenté de penser que Proudhon n’aurait pas eu assez de génie —s’il vivait encore parmi nous — pour admirer la délicieuse beauté des barquinades solidaristes que le gentil barbifère Léon Bourgeois raconte aux dames sensibles. Voici quelques réflexions que je vous soumets à propos de cette négation des architectures sociales attribuée à Proudhon.

Si l’on a pu soutenir si souvent que l’œuvre de Proadhon est fragmentaire, limitée, contradictoire, c’eat que ce grand maître a obéï (sans toujours se rendre parfaitement compte de sa méthode de travail) au principe que j'ai énoncés de la manière suivante dans les Réflexions sur la violence : « La philosophie sociale est obligée, pour suivre les phénomènes les plus considérables de l’histoire, de procéder à une diremption, d’examiner certaines parues sans tenir compte de tous les liens qui les rattachent à l’ensemble, de déterminer en quelque sorte leur genre d’activité en les poussant à l’indépendance. Quand elle est arrivée ainsi à la connaissance la plus parfaite, elle ne peut plus essayer de reconstituer l’unité rompue. (3e édition, p 407). » Je montrais dans ce livre que c’est par un tel procédé qu’a été