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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/100

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par l’entremise d’Étienne Arago, Louis Ménard lui fit obtenir une place d’institutrice dans une famille riche, qui recherchait une personne à la fois très instruite et très distinguée. En acceptant la place, que la ruine définitive à Bourbon ne permettait pas de refuser, Mlle de Lisle mit pour condition qu’elle isolerait sa vie et se ferait servir dans son appartement, afin de ne pas paraître devant les domestiques, à la même table ou dans le même salon que les maîtres, en un état d’infériorité presque inévitable.

L’autre sœur avait refusé certaine demande en mariage dont elle avait été l’objet de la part d’un cousin dont je parlerai plus loin. Je crois qu’elle dut se résigner à devenir gouvernante dans la maison dont elle aurait été la maîtresse ; mais, à quelque condition qu’elles se trouvassent réduites, les sœurs de Leconte de Lisle surent imposer leur manière d’être et sauvegarder leur fierté.

Comme leur frère, elles étaient d’opinion très indépendante et je ne sais laquelle fut une fervente socialiste. D’un esprit supérieur, elle avait inspiré la plus haute considération à Leconte de Lisle, qui la jugeait de forte race et reconnaissait en elle un de ces êtres d’intellectualité hautaine dont il représentait lui-même un type si parfait. Elle traduisit les poésies de l’Anglais John Payne[1] et non sans donner la plus entière satisfaction à l’auteur. Celui-ci, lors d’un voyage en France, vit sa traductrice et demeura fort étonné devant elle ; il avait cru Leconte de Lisle son véritable traducteur. Leconte de Lisle eut grand’peine à le dis-

  1. John Payne, poète de l’école des Browning et de Swinburne était de son métier solicitor. Il voulut épouser la fille d’un de nos maîtres décadents, auquel il dédia la troisième partie d’un de ses principaux ouvrages. Il possédait une vingtaine de mille livres de rente, offrait de quitter l’Angleterre, de venir s’établir à Paris ; mais il n’avait plus le privilège de l’âge et des avantages physiques, ses vœux ne purent être partagés.