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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/106

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art de sensations, elle ne contient pas en soi l’entière raison. Pour répondre à toutes les curiosités de l’esprit, à tous les désirs du corps, à toutes les aspirations de l’âme, à tout ce qui gouverne en nous la vie de l’idéal et celle du réel, poésie, philosophie, science de l’analyse et de la synthèse universelles, est-ce qu’elle a la netteté du verbe et la phrase inéluctable ? Qu’est l’ensemble de ses rythmes et de ses combinaisons auprès de la grande architecture mentale qui peut, à travers tous les temps et tous les espaces, dans l’abstrait comme dans le concret, bâtir tous les palais d’idées avec la matière pure du langage et le bloc étincelant des définitions ? Les nobles esprits d’autrefois auraient souri de dédain si des novateurs, amoureux de clairs de lune, eussent essayé de leur faire prendre l’imprécis pour l’universel, le mirage sidéral pour la lumière de l’intelligible, les bonds dans le vague pour le prolongement logique des certitudes. Seule la littérature a la force de tout exprimer en termes rigoureux, depuis les moindres palpitations du cœur de la nature jusqu’aux trenscendantes inductions de la métaphysique, si grandes, si hautes qu’elles échappent au cerveau de la femme et que l’homme étranger à leur spéculation ne saurait se targuer d’être véritablement intelligent.

Sur cette souveraineté de la littérature Leconte de Lisle était certain de se rencontrer en communion de doctrine avec Baudelaire et, lorsque la discussion de quelque point de détail prenait une allure trop vive, il faisait dévier la conversation sur le terrain plus solide de la théorie, ce qui ne manquait jamais de ramener l’aménité des propos. Il ne put éviter tous les chocs, mais il se montrait d’autant plus attentif à les prévenir, que Baudelaire était un des rares lettrés qui lui tinssent tant soit peu compagnie.

En réalité, vu la difficulté de relever, à cette époque de sa vie, des faits témoignant d’une extériorité vraiment active, on peut dire qu’après la fougue et les élans