Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/114

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La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore.


« Pathos botanique ! » s’écriait-il, et les bras du fidèle élève, du vicomte de Guerne, se laissaient tomber par contre-coup sympathique. Évidemment le dernier écolier d’une classe primaire sait que le bourgeon, rudiment de la fleur, la précède dans l’évolution des choses et que, si l’un des deux peut sentir l’autre éclore, c’est le bourgeon qui sentira la fleur. Mais la poésie végéterait sans l’extension de l’image et sans les interversions dans la pensée. Les règles de l’éloquence n’autorisent-elles pas, sous le nom barbare de l’hypallage, la transposition du rapport naturel des idées ? À la vérité, le grand style français a rarement profité de cette licence. De toutes les figures de rhétorique, dont au collège on recommande l’emploi, l’hypallage est la moins usitée ; nous nous amusions même de la peine qu’éprouvait notre professeur pour découvrir dans les œuvres des bons auteurs les exemples que son rôle de pédagogue l’obligeait à nous citer. Je me permets de signaler à ses successeurs le vers litigieux que des puristes m’ont assuré pouvoir entendre sans qu’il leur décroche les bras, et je conclus que si, rigoureusement parlant, Leconte de Lisle et le vicomte de Guerne avaient raison, Musset n’avait peut-être pas tout à fait tort poétiquement.

Leconte de Lisle accusait encore Musset d’être un gâte-sauce d’érudition ; il prenait à témoin ce début de Rolla :


Regrettez-vous le temps où le ciel, sur la terre,
Marchait et respirait dans un peuple de dieux.
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère,
Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère
Et fécondait le monde en tordant ses cheveux ?


« Est-ce qu’Astarté, prétendait-il, a jamais eu rien de commun avec Vénus sortie des flots, la belle Aphrodite Anadyomène ? » Nous l’en croyions sur parole,