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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/117

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criptions prolixes, les négligences, les lacunes, la philosophie simpliste. Que sais-je encore ? Il n’était pas injuste ; il aurait été tout à fait juste s’il eût complété l’énoncé des défauts par celui des qualités. Sans doute Victor Hugo, génie éruptif, jette aussi bien sa cendre que sa flamme, mais ses clartés sont rehaussées par l’ombre des scories. Il tire avantage même des chevilles dont il fait les pièces d’appui de son tremplin. Les vers banals, les périodes languissantes lui sont nécessaires comme les temps de pause au lutteur qui se ménage, se tâte, prend contact, puis brusquement bondit. Toutefois, aveuglé par son propre feu, s’étourdissant de son mouvement, il perd son contrôle et sa liberté d’esprit au point de n’avoir eu d’opinions que celles qui servaient ses rancunes. Il ne se donnait même pas la peine de varier ses définitions : « C’est l’homme le plus méprisable que j’aie rencontré, » ressassait-il uniformément pour désigner les adversaires qui l’avaient combattu. Pour qualifier ceux qui ne partageaient pas ses idées, il changeait le mot : « C’est l’homme le plus sot… » La littérature contemporaine comptait ainsi pas mal de gens ayant droit à ce titre « d’homme le plus méprisable » : Armand Carrel, champion des classiques, Prosper Mérimée, champion du troisième empire, et cent autres. Quant aux imbéciles, à leur tête et sans doute parmi les représentants de la sottise honoraire puisqu’il ne l’avait pas rencontré comme antagoniste direct sur son chemin, il plaçait Bossuet, puis de Maistre, et, si l’on eût pu descendre au fond de sa conscience intime, on eût découvert qu’il y plaçait tout le monde excepté lui. Rien ne dénote mieux son absence totale de sens critique étouffé sous le débordement d’une personnalité qui, pour s’étendre, anéantit tout ce qui n’est pas elle. Et vraiment Victor Hugo, s’il eût été sincère, eût reconnu qu’il ne pouvait admirer qu’un seul poète, un prosateur, un penseur, un historien, un mage, un philosophe, le grand des grands, Victor Hugo.