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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/172

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À l’exemple de Gautier, Villiers de l’Isle-Adam poussa jusqu’à l’extrême cette haine commune aux romantiques ; mais, tout en stigmatisant par ses paroles et par ses écrits l’avilissement des chercheurs de richesse, il vécut constamment dans le vertige de cette même richesse.

Très fier de son grand nom, descendant du Jean de Villiers qui fut au quinzième siècle une des principales figures de la lutte entre Armagnacs et Bourguignons, comptant au nombre de ses aïeux l’un des plus éminents parmi les Grands Maîtres de l’ordre de Jérusalem devenu l’ordre de Malte, et se rattachant à George Villiers de Buckingham, le très célèbre favori du roi d’Angleterre Jacques II, il usa ses jours à rêver de résumer en sa propre gloire la gloire de toute sa race. Par sa naissance il avait incontestablement la noblesse ; il ne doutait pas qu’il possédât le génie ; mais que sont ces deux éléments de domination sans le plus puissant de tous, l’argent ? Alfred de Vigny s’estimait dignement récompensé de ses labeurs pour avoir ajouté sur son cimier doré de gentilhomme la plume de fer qui n’est pas sans beauté ; Villiers ambitionnait la plume d’or, de diamant même, à mine inépuisable ; seulement cette ambition était servie par la plus parfaite incapacité de gagner cet argent de salissure, honni, maudit et cependant envié, pourchassé sans trêve.

Tous les premiers amis de Leconte de Lisle, presque tous ses jeunes disciples (à part deux ou trois), se signalèrent par leur inaptitude à vendre de la littérature. Villiers fut un des plus dépourvus sous ce rapport ; il ne lâchait pas sa copie, tant qu’elle ne lui paraissait pas définitive. Quand une collaboration régulière lui fut offerte au Figaro (je parle cette fois du Figaro de la belle époque) ses articles lui devaient être payés trois ou quatre cents francs ; il ne parvint pas à les livrer exactement, se condamnant à des efforts de style et d’imagination très supérieurs au but éphé-