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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/185

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seulement à ces trois mots mais au Passant tout entier, « J’aime Zanetto » n’est pas une formule d’art ; c’est une formule de chanson qui peut laisser supposer des développements gracieux sur un ton d’agréable musique ; c’est un thème qui permettra d’écrire de jolis vers, non pas de beaux, de grands, de nobles vers. Au contraire, lorsque, pressée de déclarer le secret de son cœur, Chimène dit : « Je ne hais pas Rodrigue », elle se sert d’une tournure qui n’exclut pas l’idée du sentiment le plus vif et dont la délicate réserve implique cependant que ce sentiment est épuré, moins matériel ; elle ne fait pas naître à l’esprit la vision de contact immédiat, de recherche sensuelle, de faiblesses charnelles qui répugnent à la grande poésie. Et cette expression indirecte, qui rend les sentiments plus dignes en les rendant plus purs, avait rencontré dans la manière de comprendre et de sentir particulière à Leconte de Lisle de telles affinités qu’elle devint pour lui le véritable article de foi ; il l’institua comme premier commandement du décalogue poétique et, sous son inspiration, elle joua le rôle de dogme irréductible, au nom duquel se lancèrent les anathèmes contre les Infidèles.

C’était l’époque militante pour les Parnassiens qui, se faisant une arme de la dignité nécessaire aux vaincus et se recueillant, comme à l’abri d’une cuirasse, derrière la fierté naturelle aux opprimés, se montraient implacables pour tous ceux qui ne leur paraissaient pas lutter aussi noblement qu’eux. Ils traitaient en déserteurs les poètes qu’ils croyaient capables de pactiser avec le public et qui, pour produire sur ce même public le choc émotif, rabaissent leurs œuvres au diapason moyen qui règle chez lui les impressions habituelles. Fi des complaisants rimeurs dont la lyre s’accorde avec les pulsations des cœurs vulgaires et sus aux vendeurs de sentiment, tel était le mot d’ordre. Dans tous les partis existe une certaine intransigeance immanente, une sorte de