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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/235

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avec ce jeune lettré dont il raffolait, il se mit à crier : « Je ne veux pas d’un juif pour gendre : je suis un vieux chrétien, moi ; » protestation qui n’avait pas de sens, puisqu’il s’acordait volontiers l’âme d’un mécréant et qu’en tout cas il avait constamment fait profession de tolérance ; mais les plus fausses raisons ne sont pas celles que l’on s’obstine le moins à soutenir.

Judith avait vingt ans, Mendès vingt-cinq ans ; ils étaient sincèrement épris et, devant la résistance de son père, Judith déclara qu’elle attendrait sa majorité ; puis, six mois plus tard, après une nouvelle tentative et sur un nouveau refus, elle alla demeurer chez sa mère, Ernesta Grisi. C’est alors qu’influencé par des personnes de son intimité, par Maxime Du Camp et Masseras notamment, Gautier finit par donner un consentement écrit. Il n’assista pas au mariage. Le repas se fit à Neuilly chez un ami de Victor Hugo. Les témoins de Judith, Flaubert et Turcan s’abstinrent, par considération pour Gautier, de paraître à la table où furent seuls les témoins de Mendès, Villiers et Leconte de Lisle, puis des fidèles, Marras et le chinois lettré Tinton Lun ; enfin la famille, soit le père et la mère de Mendès, la mère et la sœur de Judith.

Si Judith se sentit assez d’attirance vers Mendès pour l’épouser contre tout obstacle, Mendès fut entraîné vers elle par la plus vive ardeur de sentiment. Il s’attachait par inclination de nature aux femmes plus ou moins versées dans le commerce des Lettres. Tourmenté du besoin de raconter le drame qu’il médite, la pièce de vers qu’il compose, le roman qu’il prépare, il lui faut cette illusion d’une compagne qui lui paraisse susceptible de le comprendre et qui puisse, dans une certaine mesure, s’intéresser à son travail. La société des autres femmes ne saurait le retenir. Jeune, il avait eu l’occasion de rencontrer souvent une assez jolie fille douée pour le lit et communément regardée comme un hasard de la nature, comme