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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/244

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journal le Temps à propos d’un article qui l’accusait d’avoir anobli la forme de sa signature ; mais, s’il aspirait fièrement à la gloire, s’il en acceptait avec hauteur toutes les rivalités, il en détestait la pose ; pourtant il lui fallut, comme aux autres, se soumettre à la tyrannie des attitudes et des sentences quand, après la guerre, les fidèles du premier salon furent remplacés, dans le second, par les complaisants de la dernière heure. Et pas un n’échappe à la fatale servitude. À l’égal de tous ces illustres, petits ou grands, Mallarmé fut la victime de sa notoriété, qui fut pour lui la cause d’une gêne nouvelle en l’obligeant à vivre d’apparences, ce qui s’accorde mal avec la nécessité de vivre petitement. Ce n’est pas tout, si peu de place qu’il occupât sur le Grand-Livre, sa pauvre part d’inscription au budget suflit à susciter autour de lui de méchantes allusions. Certains se récrièrent contre les minimes faveurs d’état accordées au maître de « l’obnubilé ». Les amis de Mallarmé, les témoins de sa première manière répondaient en affirmant que son œuvre de jeunesse contenait quelques centaines de vers dignes de contribuer à l’enrichissement de la poésie française ; ils ajoutaient qu’avec son idéal imprécis, à l’époque où son expression gardait encore quelques clartés, il avait dégagé certaine sensation poétique neuve ; mais il y a plus en Mallarmé que les deux cents vers épars dans ses premiers poèmes qu’a publiés le Parnasse ou dans l’Après midi d’un Faune et dont la valeur d’anthologie pourrait être discutée ; il y a la poursuite obstinée de toute une existence vers un but d’esthétique transcendantale ; et cela constitue ce qu’est Mallarmé, l’incarnation d’un phénomène littéraire exceptionnel.

Ce phénomène fut la résultante des conditions matérielles qui concoururent à développer chez lui jusqu’à l’extrême tension un penchant inné pour le rêve. Refoulé depuis son enfance en lui-même,