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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/323

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s’occuper d’un vieux républicain comme moi. » Hélène Bibesco parut d’abord interdite de cette réticence ; mais, tout en parlant pour la galerie, Leconte de Lisle laissait percer la satisfaction presque intensive que lui procurait dans l’instant ce hochet de vanité, ce qui rassura la princesse.

Ainsi sont faits les caractères. Leconte de Lisle, l’hôte intellectuel des donjons d’airain, se prête dans le courant des choses à de menues abjurations de conscience qu’il dissimule captieusement, tandis que le poète du rire léger et de la poudre de riz, Théodore de Banville, incapable de petitesses en dehors de celles qu’il laissait voir, donnait l’exemple d’une certaine fixité de principes dans la vie, tout en restant, comme a dit de lui Jules Lemaître « un clown en poésie ». Par un jeu de bascule et d’alternance, où l’un pactisait avec les scrupules l’autre restait ferme et réciproquement. Ainsi se trouvaient-ils séparés par l’opposition de leurs tempéraments.

Et cette antinomie de nature qui permit à Théodore de Banville et Leconte de Lisle de vivre sans amitié profonde, mais en parfaites relations de courtoisie, devait prendre la tournure d’une antipathie farouche entre Leconte de Lisle et Barbey d’Aurevilly.

Barbey, sorte d’enfant de vieux, fruit tardif du romantisme caduc, semblait réincarner physiquement et littérairement la manie de l’extraordinaire, le goût des étalages emphatiques et des paradoxes à l’esbroufe. Il s’habillait en faraud d’ancien régime. Ses chapeaux provocants, ses jabots et ses manchettes, ses redingotes serrées au buste sur un corset et bouffantes à la jupe, ses pantalons galonnés qu’il battait de son stick, semblaient évoquer quelque Franconi romantique. Et l’allure de sa personne fut aussi celle de ses écrits. Il y menait à la cravache des idées de parade ; son style sent souvent la trique et le fouet. Dans plusieurs de ses romans, il a poussé jusqu’à l’horreur le batelage de l’effet et la fantasmagorie du pittoresque. En