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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/341

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en traître de convention, ne ressemble que d’une façon trop incomplète et seulement par les traits les plus grossiers de sa face de Baal au Jehovah des textes mosaïques, à l’Éternel tout-puissant, le seul qui soit, qui frappe et qui guérit, qui tue et vivifie, suprême démiurge, entouré d’un tel respect religieux qu’on n’en représentait pas l’image et qu’on évitait d’en prononcer le nom. Et, réduit à sa férocité de parti-pris, le lahveh de Leconte de Lisle est à peine plus exact historiquement que le Dieu de justice abstraite, le Dieu tout chrétien, qui plane sur le poème dans lequel Victor Hugo met en scène un autre Cain, le Cain de la légende, errant sans miséricorde sous la poussée du remords et sous la menace du châtiment. Il n’a rien d’hébraïque, le Dieu de la Conscience, dont le regard omniprésent poursuit jusque dans la tombe l’assassin d’Abel. Conçu selon l’hiératisme du Moyen Âge, il est en retard de trois mille ans sur la Bible. On se le représente assez conforme au type traditionnel qu’ont banalisé dans le commerce de la Sainteté toutes les enluminures plus ou moins heureusement inspirées de la plastique italienne et, tandis que le Dieu de Leconte de Lisle reste en cartonnage d’opéra, celui de Victor Hugo descend jusqu’à la chromolithographie. Tous deux sont de même essence artificielle et ce n’est point assurément la prétention archéologique de l’un ou le caractère conventionnel de l’autre qui donne un intérêt exceptionnel aux œuvres dans lesquelles ils se manifestent. Pour m’en tenir au poème de Leconte de Lisle, s’il produit une impression de grandeur, ce n’est pas par son effort manqué d’évocation historique, c’est par tout ce qu’il exprime de colère hautaine, d’inlassable rébellion contre les fatalités de l’injustice initiale, contre cette effroyable préordination qui, de par la volonté du Créateur, condamne certains hommes plutôt que d’autres à ne pouvoir être jamais que des maudits.

Cri sublime de révolte justicière, magnifique défi