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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/45

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d’autres étaient encavés comme du bétail enragé. Je préfère m’en tenir aux détails qui me sont venus directement par lui, tels qu’il les a racontés à ses premiers amis. Je le vois alors, effrayé par les conséquences de l’insurrection et demeurant coi dans sa chambre, en homme qui ne se soucie pas de s’exposer par une apparition inopportune aux mesures de proscription esquivées miraculeusement. Et dans cette retraite volontaire, au milieu de ses papiers et de ses livres, je le vois travaillant plus aisément qu’en prison à son Iliade, dont il portera plus tard la copie chez l’éditeur Ducloux qui la perdra.

Donc, pour en rester à ce que j’en ai su, je constaterai qu’il n’eut même pas les honneurs de la prison. Le 22 juin 1848, à quatre mois près, il avait juste trente ans et, dans le cours d’événements tragiques qui mettent à l’épreuve les caractères, il donnait la mesure de son activité politique. C’était encore une fois la faible mesure. Le nouvel essai de ses énergies se terminait, comme ses essais précédents, par une constatation d’impuissance et par l’énervement de la défaite.

Cependant tant de vaines tentatives et tant de résultats négatifs ne doivent pas nous faire oublier qu’à la même époque il sut affirmer par un acte de ferveur l’une de ses plus chères convictions. La seconde République, réalisant le vœu de la première, avait proclamé l’abolition de l’esclavage qui s’était maintenu dans nos colonies malgré les grands principes. Depuis dix ans déjà, cette abolition s’effectuait dans certaines colonies anglaises, notamment à l’île Maurice, la sœur de l’île Bourbon ; elle n’était pas seulement d’accord avec les traditions de la France républicaine, mais encore avec les vues morales de l’Europe et la nécessité politique du moment. On ne doit donc pas s’étonner qu’elle ait provoqué, de la part des créoles présents à Paris, une adresse d’adhésion. Leconte de Lisle rédigea cette adresse sans hésitation ; or les biens