Aller au contenu

Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Lumière, où donc es-tu ? Peut-être dans la mort[1].


De même on n’avait pas besoin d’avoir causé longtemps avec lui pour s’être assuré qu’il croyait au Mérite et Démérite, au Libre Arbitre, à la probabilité des Récompenses et des Peines, et qu’il était quelque peu déiste. Il n’allait pas, comme Victor Hugo, jusqu’à s’attribuer une place à la droite du Père, mais il supposait vaguement que la persistance de l’être réservait un rang d’honneur aux molécules terrestres d’essence supérieure. Et ce rang d’honneur, cette survie d’élection, il se les décernait dans l’intimité de ses espoirs secrets. S’il dérobait à la curiosité du monde ce repli de conscience inquiète, les rares intimes, qu’il estimait assez pour leur livrer le fond de son âme, savaient qu’il attendait de quelque mystère obscur une révélation surnaturelle plus belle que la vie.

En présence de ces incertitudes et ne pouvant contredire lui-même sa formule poétique de doute et de négation, il s’était fait, à titre de compromis, une vision de pureté primitive, qu’il appelait « la Sérénité première ». La beauté, la bonté auraient régné sur la terre en des siècles magnifiques, où sous des soleils féconds eût vécu la race des Purs. À cette époque de clarté virginale, Leconte de Lisle concevait des dieux qui, pour l’homme, étaient des chefs harmonieux. Vieux souvenir de Jean-Jacques Rousseau. Leconte de Lisle en revient à l’Harmonie Suprême rêvée par le Vicaire savoyard. Et, sans s’apercevoir de l’évidente antilogie, il s’abandonne à cette idéalité d’un âge d’or, en même temps qu’il reste convaincu de la préexistence du Mal, comme si ce Mal universel, antérieur à tous les temps, n’excluait pas la possibililé de tout état de pureté postérieur et partiel. Magma philosophique, mélange de doute et superstition ! Et

  1. In excelsis (Poèmes barbares).