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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/77

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qualités superficielles de l’esprit ; or il ne retrouvait pas chez Jacquemart le fond de philosophie saine et généreuse, la source pure des nobles pensées en dehors desquelles il ne pouvait admettre la supériorité des gens. Il ne le fréquentait pas moins, ainsi que Jobbé ; il n’a jamais admis la possibilité de vivre sans entourage.

Fage était parti, Bermudez expulsé, les autres dispersés. Thalès Bernard restait, bien qu’il se fût cru poursuivi ; mais, avec lui, les relations manquaient parfois de franche simplicité. Volontiers il se promenait comme un prince de la Littérature. Toute une escorte de jeunes gens l’admirait et lui formait une suite de courtisans, « les esclaves de Thalès », et Thalès supportait mal que l’un d’eux s’avisât de changer de maître. Prosper Huet, un aimable garçon que guettait malheureusement une lésion de la moelle épinière, avait transféré son obédience à Leconte de Lisle qui l’en paya par une dédicace ; son nom se retrouve en tête d’une petite pièce dans l’édition des Poésies complètes. Toute désertion en provoquant d’autres, Thalès put craindre que Léon Rogier, le second de ses esclaves, se lassât de marcher dans son sillage stellaire. Alors voyant ou redoutant de voir ses principaux satellites se perdre dans le rayonnement d’un astre qui n’était pas le sien, il accusa Leconte de Lisle d’attraction insidieuse et de manquement grave aux devoirs prescrits par la camaraderie.

Jaloux de ses suivants, comment ne l’eût-il pas été de ses suivantes ? Mais, plus fidèles que les « pedisequi », les « pedisequæ » de Thalès composaient en son honneur des brochures et des livres. L’une d’elles, sous ce titre : « M. Thalès Bernard et l’École allemande », lui fit gloire d’avoir, le premier, imité les lied germaniques. Or c’est Louis Ménard qui mit à la mode ces petits poèmes de mysticisme un peu lunaire et de délicatesse vaguement macabre. Il en inaugura l’apparition en France par cinq chansons allemandes,