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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/90

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teur s’annonçant comme une gloire future. Leconte de Lisle demeurait alors rue des Beaux-Arts, en voisinage avec de Flotte. Thalès et Ménard le cherchèrent longtemps. Ce fut Fage qui parvint à le découvrir. L’étroite intimité dans laquelle ses nouveaux adeptes avaient vécu depuis lors avec lui n’altéra rien de leur enthousiasme. Les poèmes qu’il avait puhliés dans la Phalange, Le Voile d’lsis, La Vénus de Milo, l’Églogue harmonienne, Hypathie, Niobé, la Fontaine des Lianes étaient très éloignés d’avoir leur forme définitive ; sa complexion d’artiste était telle qu’il devait avoir écrit deux cents mauvaises lignes avant d’en tirer cent meilleures, puis cinquante excellentes ; or, pour imparfaites qu’elles fussent encore, ses premières pièces, celles même qu’il n’a pas réimprimées, excitaient si hien l’admiration de ses amis que ceux-ci, les relisant plus tard en cet état d’éclosion inachevée, s’étonnèrent d’en avoir tant admiré ce qu’ils appelaient déjà les « vers cyclopéens ».

Très haut coté par les fouriéristes militants, c’est lui qui les avait prisés secondairement et, tandis que des compagnons fidèles travaillaient à son crédit naissant, ses progrès poétiques tendaient à le grandir chaque jour d’un degré.

Quant à l’homme, sa beauté grave n’était pas de celles qui font affoler tous les cœurs ; son orgueil parfois dédaigneux risquait d’inspirer des doutes sur ses aspirations de tendresse intime ; mais, s’il ne fut pas le bellâtre que les femmes s’arrachent, il ne fut pas non plus l’indifférent dont elles s’éloignent et, sur six d’entre elles que le lointain des souvenirs me laisse compter dans son entourage, j’en pourrais nommer cinq qui lui souriaient du profond de leur âme ou qui, moins timides et moins réservées, se le disputaient presque ouvertement. À vrai dire, la sixième le trahit ; mais, pour le trahir, encore avait-il fallu qu’elle le prit ou l’acceptât, et ce n’est certes pas la preuve que ce jeune homme de trente ans, embelli