Page:Carco - Au vent crispé du matin.djvu/22

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Par la fenêtre ouverte du salon jaune sa voix montait. Elle était chaude et pénétrante. Elle vantait des plaisirs délicats et le soir descendait et le prisonnier du haut étage finissait par découvrir, dans une corbeille poudreuse de vieux bouquins, le tome premier d’une édition princeps de La Fontaine. Sa mélancolie se dissipait alors. Il poursuivait ses recherches, mais la fraîcheur le surprenant avec la nuit, il se félicitait et se gourmandait à la fois de sa trouvaille et de sa fâcheuse aventure.

Ami Bernard, appela-t-on… — Amie Lucie… répondit-il. — Silence… fit-on du bout des lèvres… On ne voyait plus clair. Il reçut dans ses bras une svelte et jeune amoureuse et ne la reconnut qu’après un long baiser qu’il appuya bien sur sa bouche… — Hé quoi ! c’est vous Mathilde ? s’étonna-t-il ensuite… — C’est moi, dit-elle un peu confuse… Madame m’envoie… — Restez… Il la retint et tandis que l’ombre se faisait plus épaisse, il ravit la jolie servante dans une extase que la sonnette du corridor dissipa seule après un long moment.

— Cette fille n’est jamais là… Mathilde ! Mathilde ! criait Madame… — Laissez Mathilde… — Descendez-vous ?… Elle descendit. Monsieur qui ne comprenait rien à l’humeur de sa femme, dit à la fille pour plaisanter : — Votre amoureux était-il avec vous que vous voilà si promptement défaite ? — Ah ! laissez donc ! lui fut-il répliqué. C’est une coureuse, c’est une évaporée. Je la mettrai demain dehors.

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