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Page:Carco - Au vent crispé du matin.djvu/53

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Sérénité du Soir

J’aime les siestes au bord du fleuve. Mon passé connut la jouissance d’un somme ivre de paresse et de grave orgueuil poétique. L’ombre des saules, fouillis menu défend mal du soleil. Sur le dos, je mesure le ciel creux sans un nuage. L’eau n’est qu’une croûte d’azur : elle luit, elle est dure, elle est épaisse et difficile. Je me couche sur le ventre et je mâche une queue sucrée d’herbe sauvage. Je pense à un poème que j’écrirai sur la Garonne avec ma volupté sage de dormeur. Puis je me reprends. Tout à l’heure je vais m’éloigner. Je me vois, debout, regardant le paysage qui s’est levé avec mes yeux.

La ville est à gauche : elle dresse vingt clochers tièdes et des cheminées vers le soleil qui tombe. Une poussière d’or jaillira du fleuve aux rives déchaussées. Les racines sèches ont soif : l’eau se rétrécit contre les pierres découvertes car le moulin d’en haut a baissé les vannes pour faire son plein.

Mon ventre chaud contre la terre absorbe la vie. Je me roule et je tombe la face dans l’herbe fraîche. Une pointe chatouille mes narines heureuses. J’ai les mains blanches,

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