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Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/183

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mener qu’à contre-cœur, on recourut à la menace pour forcer mon consentement. Que pouvais-je faire sous le coup de la mort terrible de mon fils ? Ayant fait l’épreuve de tous les malheurs je consentis enfin, surtout parce que j’étais dispensé certains jours de l’obligation d’enseigner à l’Université. Je ne prenais pas garde alors à leur fourberie, cachée sous le désir de recevoir celui que, moins de quinze jours avant, tous les ordres voulaient proscrire comme l’époux de tous les enfants. Ô grands dieux ! Ô barbarie des mortels, ô cruauté d’amis scélérats et traîtres, ô impudence et fureur pires que celles des serpents !

Bref, la première fois que j’entrai à l’Académie je remarquai une poutre placée de telle façon que, glissant à l’improviste, elle pouvait tuer quiconque entrait — je ne sais si c’était par hasard ou fait à dessein. Quoi qu’il en fût, je n’assistais aux séances que le plus rarement possible en imaginant des prétextes ; quand (122) j’y allais, c’était au moment où l’on ne m’attendais pas, et j’étais toujours attentif à la souricière. On ne s’en servit pas, soit que l’on jugeât qu’il ne fallait pas perpétrer un crime avec tant d’éclat, soit que l’on n’eût pas eu cette intention ou que l’on prît un autre parti. Par exemple, je fus appelé peu de jours après au chevet d’un malade, le fils du chirurgien Pier-Marco Troni. Il y avait, appliqué au dessus de la porte, un morceau de plomb comme pour retenir les rideaux de jonc : comment, de quelle façon, je ne comprends pas, mais assurément pour qu’il tombât. Il tomba en effet. S’il m’avait atteint, c’en était fait de moi ; et de peu s’en fallut, Dieu le sait. De ce jour, je commençai à être en proie au soupçon, sans savoir précisément que soupçonner, tant était grande la stupeur de mon esprit.

Mais écoutez le troisième acte, qui découvrit tout. Peu de temps après, cet animal vint me demander de lui prêter deux jeunes domestiques, musiciens, en vue d’une messe nouvelle que l’on voulait célébrer. On savait qu’ils goûtaient les premiers mes aliments, et on s’était mis d’accord avec une servante pour me donner du poison. Auparavant on avait demandé à Ercole [Visconti] de prendre part à cette fête ; et sans soupçonner (123) de mal il avait promis. Mais lorsqu’il vit que l’on faisait aussi appel aux deux autres, il flaira un mauvais coup ; aussi répondit-il : « Un seul est musicien, et non les deux ». Alors ce lourdaud de Fioravanti, brûlant du désir de les emmener, répondit : « Qu’il nous les envoie tous les deux ; nous savons que le