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Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/253

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ne me fut d’aucun usage ; j’en ai reçu les premières notions il y a trois ans, c’est à dire à soixante-onze ans. J’ai été très versé dans la géométrie, l’arithmétique, la médecine théorique et pratique, plus encore dans la dialectique, la magie naturelle, c’est à dire les propriétés des corps et choses semblables, comme par exemple le fait que l’ambre renforce la chaleur naturelle, et pourquoi[1]. Faut-il compter aussi l’habileté au jeu de dés ? Je possède la connaissance pratique de la langue latine et de quelques autres, ainsi que la théorie de la musique. Je n’ai pas abordé l’art nautique ; quant à l’art militaire que je n’ai pas à dénombrer parmi les sciences, je m’en suis abstenu en raison de nombreuses difficultés ; de même pour (185) l’architecture. Il reste encore certaines demi-sciences comme l’emploi de lettres symboliques, leur composition, leur interprétation. Dans ma spécialité il me manque la pratique chirurgicale.

Si on fixe le nombre des disciplines importantes à trente-six, il en est vingt-six dont l’étude et la connaissance m’ont complètement manqué. Je me suis occupé de dix. D’aucuns ont estimé plus haut mes connaissances et mon habileté, à cause de mon aptitude à utiliser ce que je sais. Cette aptitude est aidée par une méditation profonde et assidue, par les liaisons établies entre beaucoup de choses bien comprises, par des principes meilleurs, qui ne sont pas inspirés par le désir de contredire comme chez Galien, qui ne sont pas trop lâches, en partie faux et imaginaires comme chez Plotin (il me sera permis par souci de la vérité de m’éloigner un peu de l’opinion commune, et non beaucoup comme d’aucuns croient) ; ce qui les dicte c’est un jugement exact et ferme, l’âge, mon caractère harpocratique et l’usage des cinq prérogatives que j’ai déjà souvent rappelées[2]. Mais il faut joindre encore aux dix sciences que je possède la connaissance étendue de l’histoire qui, tout en n’appartenant en propre à aucune science particulière, contribue beaucoup à (186) la dignité et à l’ornement de ce qu’on raconte. J’ai voulu ajouter ces détails pour encourager mes lecteurs à se borner à l’étude d’un petit nombre de questions (puisque notre vie est courte et pleine d’embarras et de difficultés), et à le faire avec zèle et constance ; qu’on donne, entre tout, la préférence à ce qui est utile aux hommes et à nous-mêmes, qu’on adopte des principes liés et vrais et, au lieu d’abandonner les anciens par colère ou par ambition, qu’on se rende compte quels sont les meilleurs. Que tu sois entraîné par le souci de ta gloire ou que

  1. Cf. De sanitate tuenda IV, 3 (VI, 246) Ambrae uires : …quam scimus quantum uitae conferat… depellens omnem sorditatem a corde et cerebro eoque confirmans… Caliditatem habet tenuem… repurgat (ut uerisimile est) humidum illud innatum, et uitam in immensum producit.
  2. Chap. XXXVIII.