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Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/347

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Autre question : pourquoi ne donne-t-il pas clairement ses avertissements ? Je le voudrais bien ! Mais il avertit d’une chose par le moyen d’une autre ; ainsi, par ces bruits confus il me rappelait d’avoir confiance, que Dieu voit tout, quoique je ne le voie pas de mes yeux. Il pouvait bien m’avertir ouvertement par un songe ou par un autre prodige plus clair, mais peut-être cela révélait-il (265) davantage la sollicitude divine et la gravité des accidents qui suivirent, les craintes, les obstacles et les angoisses ; et le bruit strident remplaçait la crainte. L’obscurité sert à nous faire comprendre que c’est l’œuvre de Dieu, et non à nous instruire du danger à éviter. C’est donc de la sottise que de montrer trop de hâte dans les connaissances de cet ordre, et plus de sottise encore de vouloir divulguer des choses auxquelles font obstacle de tant de manières, dans l’esprit des hommes, une longue habitude et l’irrégularité des signes avertisseurs. Si ce qu’ils annoncent est vrai, on peut en tirer peu d’utilité, si c’est faux à quoi servent-ils ? Il en est donc comme de ces hommes généreux, qui peuvent faire beaucoup de dons que nous ne pouvons accepter.

Encore une question : pourquoi y a-t-il des avertissements incompréhensibles comme le Te sin casa et Tamant[1], et les quatre années de vie d’après la réponse du singe, et les vermisseaux qui apparurent dans les assiettes[2]. Il n’est pas vraisemblable que ce soit le produit d’une erreur, quand rien ne résiste à la puissance divine qui connaît les circonstances essentielles. Aussi, quoique je n’aie point de notion certaine, il est vraisemblable que cette cause, c’est-à-dire l’esprit, est mise en mouvement comme la nature, suivant un ordre déterminé, et il en est ici comme dans la nature, où les monstres naissent sans que la nature se fourvoie (266) jamais par vice de matière. Je ne crois pas vrai que cet esprit soit plus noble que l’intelligence de la nature : il est pourtant exposé à l’erreur à cause du milieu qui, nous devons le supposer, lui sert aussi d’instrument. De même que, certaines années, il naît beaucoup de monstres dont la puissance du soleil a entravé le développement, ainsi le pouvoir d’un corps céleste ou l’âme, agissant comme instrument, produisent des imperfections et des erreurs dans la connaissance de l’avenir au moyen de ces signes. Et, si on prétend que ces erreurs-là se produisent dans la nature par vice de la matière et ici par un défaut de la volonté agissante, je dis que cet esprit étant un être immatériel et bon dépendant de Dieu — c’est ce que les théologiens appellent un bon ange — il montre exactement

  1. Dans Somn. Synes., IV, 4 (V, 721), Cardan, rapportant les songes où il avait entendu parler ou chanter, indique, parmi les mots perçus, celui de Tamant, qu’il interprète comme suit, en faisant de sages réserves : Tamant, ut uisum est, infortunium repentinum et magnum significat. T enim litera male sonans est, et muta et dura… Et quamuis Tamant significet bis mille sexcentum septuaginta, melius tamen est praetermittere aliquid coniecturae, quam leuitatis suspicione aspergi.
  2. Ces traits merveilleux ne figurent pas au nombre de ceux qui sont racontés dans la Vie.