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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 1.djvu/186

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et peu d’années après, la population, la richesse et la culture reviennent au point d’où elles étaient déchues. Cependant de nouvelles guerres ont encore lieu pour décider cette question : Lequel des deux chefs recueillera toute la rente (c’est le nom qu’ils lui donnent). Après une dévastation considérable de propriétés, une immense perte d’hommes, l’un des deux étant tué, l’autre devient son héritier, ayant conquis, de la sorte, et du butin et de la gloire. Il lui faut maintenant un titre pour le distinguer de ceux qui l’entourent. C’est alors un petit roi ; et comme de semblables actes se répètent ailleurs, de tels rois deviennent nombreux. La population se développant, et chaque petit souverain convoitant les domaines de ses voisins, de nouvelles guerres ont lieu, amenant toujours le même résultat : le peuple se réfugiant constamment sur les hauteurs pour sa sûreté, les meilleurs terrains abandonnés, les subsistances devenant plus rares, et la famine et la peste enlevant ceux qui avaient échappé par la fuite à la tendre clémence des envahisseurs.

Les petits rois, devenus maintenant des rois puissants, se trouvent entourés par des chefs inférieurs, qui se glorifient du nombre de gens qu’ils ont tués et de la quantité de butin qu’ils ont conquise. Les comtes, les vicomtes, les marquis et les ducs ne tardent pas à faire leur apparition sur la scène du monde, héritiers du pouvoir et des droits des chefs de brigands d’autrefois. La population et la richesse rétrogradent, et l’amour des titres se développe avec les progrès de la barbarie[1]. Les guerres se font alors sur une

  1. Il est intéressant de suivre, à chaque phase de la décadence de l'empire romain, l'accroissement progressif dans la pompe des titres ; et il en est de même encore par rapport à l'Italie moderne, au moment de son déclin. En France, ils devinrent d'un usage presque universel, à mesure que les guerres de religion plongèrent le peuple dans la barbarie. Les titres si retentissants employés dans l'Orient sont au niveau de la faible puissance de ceux qui les portent, ainsi que la kirielle interminable de noms, des Grands d'Espagne, l'est avec la stérilité du sol que cultivent leurs vassaux. Le temps n'est pas éloigné, sans doute, où les hommes ayant un sentiment réel de leur dignité rejetteront comme une absurdité l'ensemble d'un pareil système, où des hommes d'un petit esprit croiront, seuls, se grandir par le titre d'Écuyer, d'Honorable, de Marquis ou de Duc. Les extrêmes se rencontrent sans cesse. Le fils d'un duc se comptait à porter une demi-douzaine de noms, et le petit marchand détaillant de thé et de sucre appelle sa fille Amanda, Malvina Fitzallan, Smith ou Pratt, tandis que le gentilhomme appelle son fils Robert ou John.