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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 2.djvu/56

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excessives, et déclare que le royaume est traité en pays ennemi, frappé d’une contribution de guerre. Le duc d’Orléans pour faire connaître au souverain le sort de son peuple, apporta au Conseil, comme argument décisif, un morceau de pain de fougère, et à l’ouverture de la séance il le plaça devant le Roi, en lui disant : « Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent. Ceci peut être regardé comme un cas exceptionnel, mais il n’y a guère que quelques personnes, même parmi les gens instruits, qui se fassent, à notre époque, une idée juste de ce qu’était la misérable nourriture de la masse du peuple en Europe, il y a cent cinquante ans, et de ce qu’est encore à présent la subsistance de la plus grande partie d’entre eux[1]. M. Moreau de Jonnès dit de ses compatriotes en l’an de grâce 1850. Une grande partie de la population des campagnes continue, par habitude et par nécessité, à se nourrir d’un pain détestable, mélange indigeste de seigle, d’orge, de son, de haricots et de pommes de terre qui n’est ni assez levé ni assez cuit ; et M. Blanqui, qui a voyagé pendant ces deux dernières années dans les provinces, chargé d’une mission de l’Institut, pour examiner leur condition et en faire un rapport, déclare que ceux-là seulement qui l’ont vu peuvent concevoir jusqu’à quel point sont misérables les vêtements, les meubles et les aliments de la population des campagnes. Un rapport officiel, pour 1845, du nombre de maisons en France sujettes à l’impôt des portes et fenêtres montre qu’il y a, en tout, 7.519.310 maisons, dont 500.000 n’ont qu’une seule ouverture, 2.000.000 n’en ont que deux et 1.500.000 n’en ont que de quatre à cinq. Les deux septièmes seulement du nombre total ont six ouvertures au plus. C’est ainsi que le peuple français est logé.

Nous pouvons obtenir une idée plus complète du dénuement général en France, par l’estimation de M. Michel Chevalier, qui dit, que si la somme totale de la valeur produite annuellement en France était divisée également entre tous ses habitants, elle donnerait une moyenne de moins de 63 centimes (soit environ

  1. Suivant un rapport du Congrès central d’agriculture, à Paris, publié dans le Journal des Débats du 30 mars 1847, il parait qu’en 1760, il n’y avait que 7.000.000 de Français qui se nourrissaient de blé, tandis qu’en 1843, 20.000.000 subsistaient de blé, et le reste était beaucoup mieux nourri qu’aux époques antérieures.