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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 3.djvu/351

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La guerre persévérante contre l’industrie de toutes les nations, guerre dont nous avons parlé dans un des chapitres précédents, a conduit à cette idée fausse : qu’il était utile à la prospérité du peuple anglais d’étouffer au berceau toutes les industries manufacturières du monde, celle de la Grande-Bretagne exceptée, d’où a suivi nécessairement la ruine des petites fabriques de la Grande-Bretagne elle-même. Il en est résulté qu’il n’y a aujourd’hui place pour le petit capitaliste dans aucune branche d’industrie, et que la partie de la société qui est engagée dans le trafic, — c’est-à-dire qui vit en arrachant le morceau de pain de la bouche au reste de la population, — augmente de jour en jour. La nécessité d’émigrer devient plus pressante pour ces derniers. — La séparation des hautes classes et des classes inférieures se forme par un abîme qui se creuse et s’élargit de plus en plus[1].

    ville et aux champs, la condition de la dernière classe des travailleurs anglais tombe de plus en plus au niveau de celle de l’Irlandais, qui leur fit concurrence sur tous les marchés ; que tout travail qui ne demande que de la force musculaire et presque point d’apprentissage, est offert et accepté, non au prix anglais, mais à un prix voisin du prix irlandais, à un prix supérieur au prix irlandais, qui est au-dessus d’une disette de pommes de terre de troisième qualité pour trente semaines de l’année ; supérieur, mais qui baisse à l’arrivée de chaque paquebot, et tend à s’égaliser. » — Carlyle. Chartisme. Voy. précéd. vol. I, p, 240.

  1. « Aujourd’hui, l’ouvrier, dans la Grande-Bretagne, n’a point de perspective devant lui. À force d’habileté et de sobriété soutenues, il peut épargner quelques centaines de livres ; mais à quoi bon ! Ce petit capital épargné, — mettez quelques milliers au lieu de centaines de livres sterling, — ne peut rien dans l’état présent de notre négoce et de nos manufactures, en concurrence avec les vastes capitaux, accumulés par une suite d’héritages, qui occupent à l’avance chaque branche d’industrie et de manufacture, et qui produisent à meilleur marché que notre homme ne pourrait le faire avec ses faibles moyens. La terre, par l’effet des privilèges accordés à cette sorte de propriété, et de ce que coûtent ses titres, est hors de sa portée aussi bien que le négoce et l’industrie. Il n’est point de petits biens fonciers dans la Grande-Bretagne, généralement parlant, qu’un ouvrier ou un homme de classe moyenne puisse acheter, pour s’y installer avec sa famille et y vivre en yeoman-travailleur, ou en paysan propriétaire ; les petits capitaux, après l’accumulation effectuée, sont donc poussés forcément dans le négoce ou la fabrication, bien que chaque branche soit surabondamment pourvue des moyens de production. Où se tournera un homme qui n’a qu’un petit capital de trois ou quatre mille livres ? où entrera-t-il avec quelque perspective raisonnable de ne pas perdre son petit capital dans ses efforts les plus honnêtes et les plus prudents ? Et que peut faire l’ouvrier sinon dépenser ce qu’il gagne, boire, tomber dans un genre de vie d’insouciance et d’imprévoyance, quand il voit clairement que tout chemin à une condition indépendante est, par le pouvoir du grand capital, fermé pour lui ? Un vasselage dans l’industrie et le négoce a succédé au vasselage de la terre ; et le serf de l’atelier est dans une condition