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Page:Carnot - Réflexions sur la métaphysique du calcul infinitésimal, 1860.djvu/135

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c’est représenter une chose claire d’elle-même par un symbole qui l’est beaucoup moins : je citerai à ce sujet un passage bien remarquable d’Euler, l’analyste par excellence du siècle dernier. (Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1754.)

« Il y a des personnes, dit-il, qui prétendent que la géométrie et l’analyse ne demandent pas beaucoup de raisonnements ; ils s’imaginent que les règles que ces sciences nous prescrivent renferment déjà les connaissances nécessaires pour parvenir à la solution, et qu’on n’a qu’à exécuter les opérations conformément à ces règles, sans se mettre en peine des raisonnements sur lesquels ces règles sont fondées. Cette opinion, si elle était fondée, serait bien contraire au sentiment presque général, où l’on regarde la géométrie et l’analyse comme les moyens les plus propres à cultiver l’esprit et à mettre en exercice la faculté de raisonner. Quoique ces gens aient une teinture des mathématiques, il faut pourtant qu’ils se soient peu appliqués à la résolution des problèmes un peu difficiles ; car ils se seraient bientôt aperçus que la seule application des règles prescrites est d’un bien faible secours pour résoudre ces sortes de problèmes, et qu’il faut auparavant examiner bien sérieusement toutes les circonstances du problème, et faire là-dessus quantité de raisonnements, avant qu’on puisse employer ces règles, qui renferment le reste des raisonnements dont nous ne nous apercevons presque point en poursuivant le calcul. C’est cette préparation nécessaire avant que de recourir au calcul, qui exige très-souvent une plus longue suite de raisonnements que peut-être aucune autre science n’exige jamais ; et où l’on a ce grand avantage, qu’on peut s’assurer de leur justesse, pendant que dans les autres sciences on est souvent obligé de s’arrêter à des raisonnements peu convaincants. Mais aussi le calcul même, quoique l’analyse en prescrive les règles, doit partout être soutenu par un raisonnement solide, au défaut duquel on court risque de se tromper à tout moment. Le géomètre trouve donc partout occasion d’exercer son esprit par des raisonnements qui le doivent conduire dans la solution de tous les problèmes difficiles qu’il entreprend ; et à moins qu’il ne soit bien sur ses gardes, il est à craindre qu’il ne tombe sur des solutions fausses. »