Aller au contenu

Page:Carraud - Les métamorphoses d’une goutte d’eau, 1865.pdf/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
D’UNE FOURMI.

précaution, puis ma tête, mes pattes, et enfin le reste de mon corps ; et elle s’empressa aussitôt de porter hors du nid ma dépouille désormais inutile.

Je ne fus pas longtemps sans travailler, et l’on me préposa à la garde des pucerons dont nous avions un très-grand nombre dans nos souterrains, où ils vivaient sur les racines des herbes qui croissaient aux alentours de notre demeure. Il fallait transporter au loin les corps de ceux qui mouraient, afin d’éviter les maladies contagieuses, et veiller avec beaucoup de sollicitude sur ces troupeaux, notre plus grande richesse. Plus leurs œufs étaient soignés, plus les pucerons en sortaient forts et vigoureux et fournissaient en abondance la miellée dont nos larves étaient nourries. Je les retournais sans cesse dans ma bouche pour en maintenir l’enveloppe dans cet état de souplesse si favorable au développement du petit qu’elle contient. Si nos pucerons ne multipliaient pas suffisamment, ou si quelque mortalité venait à les décimer, nous allions faire des prises sur les plantes des environs. Ce n’était pas sans remords, certes, que je ravissais la liberté à ces pauvres bêtes qui cèdent leur miel sans résistance, en quelque temps et en quelque lieu qu’on les en sollicite.

L’hiver arriva enfin, le premier hiver de ma vie ! après avoir solidement clos toutes les entrées de