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Page:Carraud - Les métamorphoses d’une goutte d’eau, 1865.pdf/21

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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

pièce, et laissait échapper l’eau venue de si loin au-dessus d’un alambic couvert d’une large pierre découpée d’un labyrinthe de petites rigoles. Pendant que j’en parcourais tous les détours, j’observai que le feu de la chaudière était entretenu successivement par un certain nombre de femmes, chacune ayant son fagot. Je compris à leurs discours qu’on brûlait en commun le produit de leur récolte, et qu’elles recevraient une quantité d’eau-de-vie proportionnelle au vin qu’elles avaient apporté, après, bien entendu, que le propriétaire de la distillerie aurait prélevé son droit.

Chassées par les nouvelles gouttes fraîches qui arrivaient sans cesse, nous tombâmes dans un infâme cloaque qui recevait le résidu de la distillation. Nous y croupîmes pendant un grand mois au milieu des émanations les plus nauséabondes. Je bénis de grand cœur la pluie abondante qui, en le remplissant, le fit déborder et me permit ainsi de quitter ce lieu infect. Je coulai vers une jolie rivière fort large, mais sans profondeur. Mêlée à ses eaux tranquilles, j’espérais me remettre un peu de la souffrance que je venais d’endurer et jouir enfin de quelque loisir ; mais à l’instant où j’y pensais le moins, je fus puisée par une grande roue à godets qui alimentait le réservoir d’une papeterie. Je tombai dans l’une de ces auges où se triture le chiffon, et me trouvai ainsi soumise à la percus-