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Page:Carraud - Les métamorphoses d’une goutte d’eau, 1865.pdf/60

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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

noirs de tous les calibres qui l’étiraient en bandes et en baguettes de différentes grosseurs.

Aux heures de repos, les femmes et les enfants des ouvriers venaient manger avec eux le pain qu’ils leur gagnaient littéralement à la sueur de leur front.

Mon Dieu, me disais-je, les hommes sont fous, en vérité, de tant s’agiter pour arriver au même résultat que les animaux : à sustenter ce corps périssable qui bientôt se dissoudra pour rendre aux éléments ce qu’il leur a emprunté ! Mais un examen plus attentif me fit reconnaître que l’emploi de ses forces physiques et intellectuelles est une nécessité pour cette créature privilégiée, que Dieu a douée d’une âme ayant conscience d’elle-même. Je compris que, dans l’ordre moral tout comme dans l’ordre physique, la stagnation était une cause de grande perturbation, et que l’action de la paresse sur l’intelligence vicie cette dernière, et produit une foule de maladies morales plus funestes encore que celles qui s’attachent au corps.

Je passai à mon tour sous la roue qui mettait en mouvement le gros marteau. Pendant que je tourbillonnais dans les bouillons occasionnés par la chute d’eau, un petit enfant roula dans la rivière. La mère se jeta inconsidérément après lui pour le sauver ; mais ils se fussent immanquablement noyés tous les deux si un batelier, témoin de l’accident,