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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/12

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2 II
[5v]


Petrarque nous l’indique

Con le ginocchia della mente inchine.

L’homme est libre ; mais il ne l’est pas s’il ne croit pas de l’etre, car plus il suppose de force au Destin plus il se prive de celle que Dieu lui a donné quand il l’a partagé de la raison. La raison est une parcelle de la divinité du Createur. Si nous nous en servons pour être humbles, et justes, nous ne pouvons que plaire à celui qui nous en a fait le don. Dieu ne cesse d’être Dieu que pour ceux qui conçoivent possible son inexistence. Ils ne peuvent pas subir une plus grande punition.

Quoique l’homme soit libre, il ne faut cependant pas croire qu’il soit maitre de faire tout ce qu’il veut. Il devient esclave lorsqu’il se determine à agir quand une passion l’agite. Nisi paret imperat. Celui qui a la force de suspendre ses démarches jusqu’à l’arrivée du calme est le sage. Cet être est rare.

Le lecteur qui aime à penser verra dans ces memoires que n’ayant jamais visé à un point fixe, le seul systeme que j’eus, si c’en est un, fut celui de me laisser aller oû le vent qui souffloit me poussoit. Que de vicissitudes dans cette indépendance de methodes ! Mes infortunes egalement que mes bonheurs m’ont demontré que dans ce monde tant physique que moral le bien sort du mal, comme du bien le mal. Mes egaremens montreront aux penseurs les chemins contraires, ou leur apprendront le grand art de se tenir à cheval du fosset. Il ne s’agit que d’avoir du courage, car la force sans la confiance ne sert à rien. J’ai vu tres souvent le bonheur tomber sur moi en consequence d’une démarche imprudente, qui auroit dû me mener au precipice ; et quoiqu’en me blamant, j’ai remercié Dieu. J’ai aussi vu, tout au contraire, un malheur accablant sorti d’une conduite mesurée par la sagesse : cela m’a humilié ; mais sûr d’avoir eu raison, je m’en suis facilement consolé.

Malgré le fond de l’excellente morale, fruit necessaire des divins principes enracinés dans mon cœur, je fus toute ma vie la victime de