en liberté sans l’avertir, et je suis arrivé au bureau de la guerre
precisement dans le moment qu’il lisoit la lettre. J’ai assuré S.
Excellence que c’est un faux soupçon parce que je venois de
vous laisser au lit dans l’impuissance de vous mouvoir à cause
d’une entorce ; outre cela je lui ai dit qu’à minuit vous vous sentiez
mourir d’une colique — Est ce qu’il fut batonné à minuit ?
— C’est ce que la denonciation dit. Le Sage écrivit d’abord
à M. Grimani qu’il lui constoit que vous n’étiez pas sorti du
Fort ; mais que la partie plaignante pouvoit envoyer des commissaires
pour verifier le fait. Attendez vous donc dans trois
ou quatre jours à des interrogatoires — Je repondrai
que je suis faché d’être innocent.
Trois jours après un commissaire vint avec un scribe de l’avogarie, et le procès fut d’abord fini. Tout le Fort connoissoit mon entorce, et le chapelain, le chirurgien, le soldat, et plusieurs autres qui n’en savoient rien jurerent qu’à minuit je croyois mourir d’une colique. D’abord que mon alibi fut trouvé incontestable, l’avogador au referatur condamna Razzetta, et le crocheteur à payer les frais sans prejudicier à mes droits.
J’ai alors, par le conseil du major, presenté au Sage un placet dans le quel je lui demandois mon elargissement, et j’ai averti de ma demarche M. Grimani. Huit jours après, le major me dit que j’étois libre et que ce seroit lui même qui me presenteroit à M. Grimani. Ce fut à table, et dans un moment de gayeté qu’il me donna cette nouvelle. Je ne l’ai pas crue, et voulant faire semblant de la croire je lui ai répondu que j’aimois mieux sa maison que la ville de Venise, et que pour l’en convaincre je resterai dans le Fort encore huit jours, s’il vouloit me souffrir. On me prit au mot avec des cris de joye.