Aller au contenu

Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166 162
[115r]


mon reveil, me porta du caffè, me laissant seul après[illisible] pour que je pusse m’habiller en liberté. Cette gouvernante jeune, et bien faite me parut meriter attention. Je me sentois mortifié que mon état m’empechat de la convaincre que je lui rendois justice. Je ne pouvois souffrir de passer dans son esprit pour froid, ou impoli.

Determiné à bien payer mon hote ecoutant avec attention son poeme, j’ai envoyé à l’enfer la tristesse. J’ai fait sur ses vers des remarques qui l’enchanterent, de sorte que me trouvant de l’esprit plus qu’il ne pensoit, il voulut me lire ses idiles, et j’ai subi le joug. J’ai passé avec lui toute la journée. Les attentions redoublées de la gouvernante me demontrerent que je lui avois plu, et par concomitance elle acheva de me plaire. Le jour passa au pretre comme un eclair en grace des beautés que je relevois dans ce qu’il me lisoit, tout du plus grand mauvais ; mais elle fut longue pour moi à cause de cette gouvernante qui devoit me conduire au lit. Tel j’etois, et je ne sais pas si je doive en être honteux, ou m’en feliciter. Dans le plus deplorable état tant physique que moral, mon ame osoit se livrer à la joie, oubliant tous les vrais motifs de tristesse qui devoient accabler tout autre homme raisonnable.

Le moment enfin arriva. Après quelques avancoureurs de saison, je l’ai trouvée bonne jusqu’à un certain point ; et determinée au refus, quand j’ai fait semblant de vouloir lui rendre une justice entiere. Content de ce que j’avois obtenu, et encore plus qu’elle ne m’eut pas pris au mot pour l’essentiel j’ai tres bien dormi. Le lendemain au caffè, je lui ai trouvé un air qui me disoit qu’elle étoit enchantée de la connoissance intime que nous avions faite. J’ai fait des demarches pour la convaincre que ma tendresse n’avoit pas été un effet du refosque, et elle ne les seconda pas ; mais elle a embelli son refus par une raison avec une clause qui me le rendit cher. Elle me dit que pouvant être surpris, il valoit mieux differer au soir, le vent du Sud-Est étant plus fort que la veille. C’étoit une promesse formelle. Je me suis disposé à en jouir servatis servandis.

La journée avec le pretre fut egale à la precedente. À l’heure d’aller au lit, la gouvernante me dit en me quittant, qu’elle reviendroit. M’examinant alors, j’ai cru voir, que moyennant certaines attentions, je pourrois me tirer d’affaires sans risquer de devoir me reprocher une iniquité impardonnable. Il me sembloit que m’abstenant, et lui en disant la raison je me serois couvert d’opprobre, et que je l’aurois comblée de honte. Etant sage je n’aurois pas dû commencer : il me sembloit de ne pouvoir plus reculer. Elle vint. Je l’ai accueillie, comme elle s’y attendoit, et après avoir passé un