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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/28

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de Charles V lui avoient pris tout ce qu’il possedoit. Pierre Valerien parle assez de lui dans son livre de inf: litt:[1]

Trois mois après sa mort, sa veuve accoucha de Jacques Casanova qui mourut fort vieux en France Colonel dans l’armée que commandoit Farnese contre Henri roi de Navarre, puis de France. Il avoit laissé un fils à Parme qui épousa Therese Conti, de laquelle il eut Jacques qui epousa Anne Roli l’an 1680. Jacques eut deux fils, dont J. Baptiste ainé sortit de Parme l’an 1712, et on ne sait pas ce qu’il est devenu. Le cadet Gaétan Joseph Jacques quitta aussi sa famille l’an 1715 agé de dix neuf ans.

C’est tout ce que j’ai trouvé dans un capitulaire de mon pere. J’ai su de la bouche de ma mere ce qui suit.

Gaetan Joseph Jacques quitta sa famille épris des charmes d’une actrice nommée Fragoletta qui jouoit les roles de soubrette. Amoureux, et n’ayant pas de quoi vivre, il se determina à gagner sa vie tirant parti de sa propre personne. Il s’adonna à la danse, et, cinq ans après, il joua la comédie se distinguant par ses mœurs plus encore que par son talent.

Soit par inconstance, ou par des motifs de jalousie, il quitta la Fragoletta, et il entra à Venise dans une troupe de comediens qui jouoit sur le theatre de S. Samuel. Vis à vis de la maison où il logeoit demeuroit un cordonnier nommé Jerome Farussi avec Marzia sa femme, et Zanetta leur unique fille beauté parfaite à l’age de seize ans. Le jeune comedien devint amoureux de cette fille, sut la rendre sensible, et la disposer à se laisser enlever. Étant comedien, il ne pouvoit pas esperer de l’obtenir du consentement de Marzia sa mere, et encore moins de Jerome son pere, au quel un comedien paroissoit un personnage abominable. Les jeunes amans pourvus de leurs certificats necessaires, et accompagnés de deux témoins allerent se presenter au patriarche de Venise qui les unit en mariage. Marzia la mere de la fille fit les hauts cris ; et le pere mourut de chagrin. Je suis né de ce mariage au bout de neuf mois, le 2 du mois d’Avril de l’an 1725.

  1. De infelicitate literatorum (Sur le malheur des savants) (WS)