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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/291

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[145r]

Chapitre X

Benoit XIV. Partie de Tivoli. Depart de D. Lucrezia La marquise G. Barbaruccia. Mon malheur. Mon depart de Rome.

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Ce fut Barbaruccia qui me la fit, car son pere étoit fort malade. À mon depart elle me mit dans la poche une lettre ; et elle se sauva d’abord pour ne pas me laisser le tems de la refuser. Elle avoit raison, car elle n’étoit pas faite pour l’être. Elle étoit adressée à moi meme dictée par les sentimens de la plus vive reconnoissance. Elle me prioit de faire savoir à son amant que son pere lui parloit, et qu’elle esperoit qu’à sa guerison il prendroit une autre servante. Elle finissoit par m’assurer, et me jurer qu’elle ne me compromettroit jamais.

La maladie ayant obligé son pere à garder le lit douze jours de suite, ce fut elle qui me donna leçon. Elle m’interessa par un chemin pour moi tout nouveau à l’egard d’une jolie fille. C’étoit un pur sentiment de pitié, et je me sentois flatté voyant clairement qu’elle y comptoit dessus. Jamais ses yeux ne s’arretoient sur les miens ; jamais sa main ne rencontroit la mienne, je ne voyois jamais dans sa parure la moindre marque d’une étude faite pour me la rendre agréable. Elle étoit jolie, et je savois qu’elle étoit tendre ; mais ces notions n’avoient pas la force, de me causer la moindre sensation amoureuse. J’etois bien aise qu’elle ignorat que la connoissance de sa candeur vers son amant pouvoit me rendre amoureux d’elle. ne diminuoient en rien ce qu’il me sembloit devoir à l’honneur, et à la bonne foi, et j’etois bien aise qu’elle me crut pas capable de profiter de la connoissance que j’avois de sa foiblesse. D’abord que son pere regagna sa santé, il chassa sa servante, et il en prit une autre. Elle me pria d’en donner la nouvelle à son amant, et lui dire qu’elle esperoit de la mettre dans leurs interests pour avoir du moins le plaisir de s’écrire. Quand je lui ai promis de lui en donner la nouvelle, elle me prit la main pour me la baiser. L’ayant retirée montrant de vouloir lui donner un baiser, elle se detourna en rougissant. Cela m’a plu. J’en ai donné la nouvelle à son amant, il trouva le moyen de lui parler, il la mit dans ses interests, et j’ai fini de me mêler de cette intrigue, dont je voyois tres bien les mauvaises consequences qui pouvoient en resulter ; mais le mal étoit deja fait.

J’allois rarement chez D. Gaspar, car l’étude de la langue françoise me l’empechoit ; mais j’allois tous les soirs chez le pere Georgi, où quoique je ne figurasse qu’en qualité de cher au même moine, cela cependant me fesoit une reputation. Je n’y parlois jamais ; mais