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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/330

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que j’allois faire diner avec moi mangeoient pour le moins comme deux, et qu’ainsi il ne me serviroit qu’à six pauls par tête. J’y ai consenti. Me croyant en devoir de donner le bon jour à la complaisante mere, j’entre dans sa chambre, et je lui fais compliment sur sa charmante famille. Elle me remercie des dixhuit pauls que j’avois donnés à son bien aimé fils, et elle me confie son état de detresse. L’entrepreneur Rocco Argenti, me dit elle, est un barbare qui ne m’a donné que 50 ecus romains pour tout le carnaval. Nous les avons mangés, et nous ne pouvons retourner à Bologne qu’à pieds, et demandant l’aumône. Je lui ai donné un doblon da ocho, qui la fit pleurer de joye. Je lui en promets un autre pour prix d’une confidence : convenez, lui dis-je, que Bellino est une fille — Soyez sûr que non ; mais il en a l’air. C’est si vrai qu’il a dû se laisser visiter — Par qui ? — Par le tres reverend confesseur de Monseigneur l’eveque. Vous pouvez aller lui demander, si c’est vrai — Je n’en croirai rien qu’après l’avoir visité moi même — Faites cela ; mais en conscience je ne peux pas m’en mêler, car, Dieu me pardonne, j’ignore vos intentions.

Je vais dans ma chambre, j’envoye Petrone m’acheter une bouteille de vin de Chipre, il me donne sept cequins du reste d’un doblon que je lui avois donné, et je le partage entre Bellino, Cecile, et Marine, puis je prie ces deux dernieres de me laisser seul avec leur frere.

Mon cher Bellino, lui dis-je, je suis sûr que vous n’êtes pas de mon sexe — Je suis de votre sexe, mais castrat ; et on m’a visité — Laissez que je vous visite aussi, et voila un doblon — Non, car il est evident que vous m’aimez, et la religion me le defend — Vous n’avez pas eu ce scrupule avec le confesseur de l’eveque — Il étoit vieux, et ce ne fut qu’un coup d’œil qu’il jeta à la hate sur ma malheureuse conformation.

J’allonge la main, et il me la repousse, et il se leve. Cette obstination me donne de l’humeur, car j’avois deja depensé quinze à seize cequins pour satisfaire à ma curiosité. Je me mets à table en boudant, mais