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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/344

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raisons, et de forces pour repousser vos violentes fureurs. Vous parviendriez enfin à me menacer la mort, si je vous defendois de penetrer dans un temple inviolable, dont la porte ne fut faite par la sage nature que pour être ouverte au sortant. Ce seroit une horrible profanation qui ne pourroit se faire qu’avec mon consentement, et que vous me trouveriez plus tot prête à mourir qu’à vous le donner — Rien de tout cela arriveroit, lui repondis-je un peu accablé par son fort raisonnement, et vous exagerez. Je dois cependant vous dire par maniere d’acquit, que quand même tout ce que vous dites arriveroit, il me semble qu’il y auroit moins de mal à passer à la nature un egarement de cette espece, qui peut n’être envisagé par la philosophie que comme un jeu fou, et sans consequence qu’à proceder de façon à rendre inguerissable une maladie de l’esprit que la raison ne rendroit que passagere.

C’est ainsi que le pauvre philosophe raisonne, quand il s’avise de raisonner dans des momens où une passion en tumulte egare les facultés divines de son ame. Pour bien raisonner il faut n’etre ni amoureux ni en colere, car ces deux passions nous rendent egaux aux brutes ; et par malheur nous ne sommes jamais tant portés à raisonner comme lorsque nous sommes agités par l’une, ou par l’autre.

Etant arrivé à Sinigaille assez paisiblement, et la nuit etant obscure nous sommes descendues à l’auberge de la poste. Après avoir fait delier, et porter dans une bonne