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Chapitre XII

Bellino demasqué. Son histoire. On me fait mettre aux arrêts. Ma fuite involontaire. Mon retour à Rimini. Mon arrivée à Bologne.

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À peine couché, je tressaillis le voyant venir à moi. Je le serre contre mon sein, je le vois animé par le même transport. L’exorde de nôtre dialogue fut un deluge de baisers qui se confondirent. Ses bras furent les premiers à descendre de mon dos jusqu’aux reins, je pousse les miens encore plus bas, et pour tout eclaircissement je me trouve heureux, je le sens, je le ressens, je suis convaincu de l’être, j’ai raison, on me la fait, je ne peux pas en douter, je ne me soucie pas de savoir comment, je crains si je parle de ne plus l’être, ou de l’être comme je n’aurois pas voulu l’être, et je me livre en corps, et en ame à la joye qui inondoit toute mon existence, et que je voyois partagée. L’excès de mon bonheur s’empare de tous mes sens au point qu’il arrive à ce degré où la nature noyée dans le plaisir supreme s’epuise. Je reste occupé l’espace d’une minute dans une action immobile pour contempler en esprit, et adorer ma propre apotheose.

La vue, et le toucher que j’avois cru devoir representer dans cette pièce les principaux personnages ne jouent que des roles secondaires. Mes yeux ne desirent pas un bonheur plus grand que celui de se tenir fermes sur la figure de l’être qui les enchantoit, et mon tact confiné au bout de mes doigts craint à changer de place, puisqu’il ne peut pas se figurer de trouver d’avantage. J’aurois accusé la nature de la plus lache couardise, si sans mon consentement elle auroit osé decamper de la place dont je me sentois en possession.

Deux minutes s’étoient à peine ecoulées que sans rompre notre eloquent silence nous travaillames d’accord à nous entrerendre des nouvelles assurances de la realité de notre bonheur mutuel : Bellino à m’en assurer à chaque quart d’heure par les plus doux gemissemens ; moi ne voulant jamais parvenir de nouveau au bout de ma carriere. Je fus toute ma vie dominé par la peur que mon coursier recalcitre à la recomencer, et cette economie ne me parut jamais penible, car le plaisir visible que je donnois composa toujours les quatre cinquiemes du mien. Par cette raison la nature doit abhorrer