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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/376

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[187v]


— Casanova — Vos qualités ? — Officier — À quel service ? — À aucun — Votre patrie ? — Venise — D’où venez vous ? — Ce ne sont pas vos affaires.

Je me trouve tres content de mes reponses. Je vois que l’hôte n’est venu me faire toutes ces questions qu’excité par quelque curieux ; car je savois qu’on vivoit à Bologne en pleine liberté.

Le lendemain je suis allé chez le banquier Orsi me faire payer ma lettre de change. J’ai pris cent cequins, et une lettre de six cent sur Venise. Puis je suis allé me promener à la montagnola. Le troisieme jour dans le moment que je prenois du caffè après diner, on m’annonce le banquier Orsi. Surpris de cette visite, je le reçois, et je vois avec lui monseigneur Cornaro que je fais semblant de ne pas connoitre. Après m’avoir dit qu’il venoit m’offrir de l’argent sur mes traites, il me presente le prelat. Je me leve, lui disant que j’etois enchanté de faire sa connoissance. Il me dit que nous nous connoissions deja de Venise, et de Rome : je lui repons d’un air mortifié que certainement il se trompoit. Le prelat devient alors serieux, et au lieu d’insister il me demande excuse, d’autant plus qu’il croyoit de savoir la raison de ma reserve. Après avoir pris du caffè, il s’en va m’invitant à aller dejeuner chez lui le lendemain.

Decidé de poursuivre à me desavouer, j’y fus. Je ne voulois pas convenir d’être le meme que Monsignor connoissoit à cause de la fausse qualité d’officier que je m’etois donnée. Novice dans l’imposture comme j’étois, j’ignorois qu’à Bologne je ne courois aucun risque.

Ce prelat, qui alors n’etoit que protonotaire apostolique, me dit, prenant avec moi du chocolat, que les raisons de ma reserve pouvoient être tres bonnes ; mais que j’avois tort de manquer de confiance en lui, puisque l’affaire en question me fesoit honneur. À ma reponse que je ne savois pas de quelle affaire il me parloit, il me pria de lire un article de la gazette de Pesaro qu’il avoit devant lui. « M. de Casanova, officier au regiment de la reine, a deserté, après avoir tué en duel son capitaine. On ne sait pas les circonstances de ce duel ; on sait seulement que le susdit officier a pris la route de Rimini sur le cheval de l’autre qui est resté mort. »

Tres surpris de ce melange où fort peu de vrai étoit mêlé au faux, me conservant maitre de ma physionomie, je lui dis que le Casanova dont la gazette parloit devoit être un autre — Cela se peut ; mais vous êtes certainement le même que j’ai vu il y a un mois chez le cardinal Acquaviva, et il y a deux ans à Venise chez ma [sœur][illisible](doute levé sur le mot sœur cf. éd. 1880, p. 373, § 3, ligne 3.) madame Loredan. Buchetti d’Ancone aussi vous qualifie d’abbé dans sa lettre de change à Orsi — Fort bien, monseigneur, V. Excellence m’oblige à en convenir ; je suis le meme ; mais je vous supplie de borner là toutes les questions ulterieures que vous pourriez me faire. L’honneur m’oblige aujourd’hui au plus rigoureux silence — Cela me suffit ; et je suis content. Parlons d’autre chose.

Après plusieurs propos tous polis, je l’ai quité le remerciant de tous ses offres. Je ne l’ai revu que seize ans après. Je dirai à quelle occasion Nous en parlerons quand nous serons là.