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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/77

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doit en rire à gorge deployée. Les seuls qui ne rioient pas étoient les deux acteurs, et c’étoit cela qui rendoit la scène plaisante. J’admirois Bettine qui rieuse du premier ordre avoit alors la force de se maintenir dans le plus grand serieux. Le docteur Gozzi rioit aussi, mais en desirant que la farce se terminat, car il lui sembloit que les disparates de son pere faussent étoient autant de profanations à la sainteté des exorcismes. L’exorciste enfin alla se coucher en disant qu’il étoit sûr que le démon laisseroit sa fille tranquille toute la nuit.

Le lendemain, dans le moment que nous nous levions de table voila le pere Mancia. Le docteur suivi de toute la famille le conduisit au lit de sa sœur. Tout occupe à regarder, et examiner ce moine, j’étois comme transporté hors de moi même. Voici son portrait.

Sa taille étoit grande et majestueuse, son age à peu près de trente ans, ses cheveux étoient blonds, ses yeux bleux, les traits de son visage étoient ceux d’Apollon de Belvedere, avec la difference qu’ils n’indiquoient ni le triomphe ni la pretention. Blanc à eblouir, il étoit pâle, ce qui fesoit briller d’avantage le carmin de ses levres, qui laissoient voir ses belles dents. Il n’etoit ni maigre, ni gras, et la tristesse de sa physionomie en augmentoit la douceur. Sa demarche étoit lente, son air timide, ce qui fesoit conjecturer la plus grande modestie dans son esprit.

Bettine lorsque nous entrames étoit, ou fesoit semblant d’être endormie. Le pere Mancia commença par empoigner un goupillon, et l’arroser d’eau lustrale : elle ouvrit les yeux, regarda le moine, et les referma dans l’instant : puis elle les réouvrit, le regarda un peu mieux, se mit sur son dos, laissa tomber ses bras, et avec sa tête joliment penchée se livra à un someil, dont rien n’avoit la plus douce apparence.